Le chat et les rats
Un beau jour, quelques braves rats,
Tous rats de bon aloi ainsi que vous et moi,
Tenaient conseil en grand secret,
En un lieu des plus discrets.
Leur doyen en premier parla :
Ecoutez, rats de haut lignage,
Il faut mettre terme au carnage !
Jusques à quand ce méchant chat
De notre patience abusera ?
Déjà soixante de nos frères
Entre ses griffes succombèrent !
Notre peuple est las de pâtir
Il faut notre ennemi occire.
Il est grand temps de se venger
De ce vil chat sans foi ni loi,
De cet infâme scélérat !
Voici, Messieurs, quel est mon plan
Pour nous délivrer du tyran :
Approchons le quand il sommeille
Et amarrons-le par sa queue,
Après quoi, pochons lui les yeux
Et dévorons lui les oreilles !
Ainsi donc sera faite justice
De par l'ingénieux artifice !
N'est-ce point votre avis, mes frères ?
Les conseillers tous acquiescèrent,
Disant que c'était fort bien dit
Et la ruse fort bien ourdie,
Et que le rusé stratagème était digne d'Ulysse même.
Adonc, les vieux rats demandèrent
Qui se chargerait de l'affaire...
Un froid passa sur l'assemblée
Qui tous à terre baissaient le nez.
Et vu qu'on ne répondait pas,
Trois volontaires on désigna,
Lesquels furent fort applaudis
Par tous les rats présents ici.
Alors le plus ancien ainsi les harangua :
Le sort de la Patrie, O magnanimes rats,
Est en vos coeurs vaillants que pour nous elle délègue.
Sachez qu'aux rats bien nés, la vertu est de règle.
Allez donc maintenant, nobles et braves rats,
Revenez nous vainqueurs ou ne revenez pas !
Après ce beau discours, nos trois conspirateurs,
Les glaives en leurs mains et la haine en leur coeurs,
Sortirent à pas lents de leur trou,
Afin d'exterminer Minou.
Or le félin dormait en paix
En son panier d'osier sculpté.
Mais Monseigneur le Chat ne dormait qu'à demi
Et ronflait hypocritement
Car du complot avait eu vent...
Et juste à cet instant précis
Où nos trois héroïques rats
Croyaient tenir à leur merci
Le susdit Chat,
Ycelui d'un revers de patte
Les tue net tous les trois
Et les mange.
De ces trois vaillants rats la lamentable fin
Est un précieux exemple à mes frères humains
Et cette fable montre bien
Qu'en tous les temps et en tous lieux
Un chat averti en vaut deux.
Déols, 26 Juillet 1972
Note critique : cette fable, à peine inspirée de La Fontaine, est reproduite ici (après maintes hésitations) mais seulement à titre d'exemple de l'écriture primitive de Isidore Ledoux avant qu'il ne découvre les règles élémentaires de la versification ! La forme est d'un laxisme extrême, aucune règle ne semblant présider à la rédaction rapide de ces vers souvent boîteux aux rimes douteuses. Quant au fond....le procédé consistant à mobiliser l'attention du lecteur pendant d'interminables stophes pompeuses et grandiloquentes, pour aboutir à une morale absurde et dérisoire, relève de l'humour facile qui caractérise les premiers essais littéraires de Ledoux.
Avant la bataille
Un froid de mort figeait la steppe désolée
De ce pays cruel où l'ultime cohorte
Attendait en tremblant avant de déferler
Au signal des clairons hors de la place forte.
Le Chef au front pensif (on le serait à moins)
Harangua ses guerriers et ainsi leur parla :
"O valeureux héros, qui venus de si loin,
Tant avez guerroyé de Charybde en Sylla,
Je vous vois tout tremblants tels moineaux abattus,
A l'heure où la victoire est à portée de bras
Et cela ne sied guère à la mâle vertu !"
En entendant ces mots un guerrier s'indigna
Et répliqua, sublime, "Oui certes nous tremblons,
Mais nous tremblons de froid beaucoup plus que d'effroi !"
Déols, 11 Juillet 1972
Et in pulverem reverteris
Un roi gisait, pensif dans le désert torride,
Sentant venir à lui la mort tant abhorrée,
Le crâne transpercé d'une flèche perfide
Qu'un régicide archer lui avait décochée
Et ce roi se disait en attendant la mort
Que du ciel et des dieux rudes sont les décrets
Et que c'est pour un roi un triste et navrant sort
Que de périr ainsi par tous abandonné
Bien amers sont les fruits qui poussent à l'arbre Gloire
Et indignes des grands les sombres destinées.
A l'instant où l'on voit s'approcher la victoire,
C'est alors que l'on est par la Parque fauché...
Ainsi pensait ce roi, tombé comme un lion
Sur ses lauriers flétris, de par la nuit tombante
Et déjà les vautours, messagers de Charon
Guettaient du haut des cieux la charogne tentante.
Déols, 14 Juillet 1972
L'esprit et la chaire
petit fabliau à l'usage des paroisses
Un beau jour de Toussaint, Bossuet, Aigle de Meaux
Dedans sa cathédrale emplie au grand complet
Glissa dans l'homélie un fort lourd jeu de mots
Quand, du haut de sa chaire, il était à prêcher.
Or, ycelle étant vermoulue
De par les vers et les années,
Il advint donc que l'Aigle chut
Devant sa paroisse étonnée.
L'esprit par trop souvent se heurte à la matière.
Frères ne riez point du pauvre Monseigneur,
Aigle tout dépité, honteux parmi le choeur,
Car son esprit fut lourd et faible fut la chaire.
Market Drayton, 4 Septembre 1972
Ad magnam gloriam poetae laboriosi
Comme on voit fort souvent le sobre dromadaire,
Impassible et serein sous la chaleur ardente
Que fait ardre Apollon sur sa bosse éminente,
Sans boire et sans répit franchir l'âpre désert,
Comme l'on voit aussi la silhouette altière
Du cheval de labour à la démarche lente
Précéder la charrue sur une terre en pente,
Sous le soleil de feu halant l'outil de fer,
Ainsi est le poète lorsque sa muse absente
Devant lui n'a laissé que plumes rabougries
Et sèche l'écritoire où son encre a tari.
Car sa main empennée obstinément arpente
Les stériles déserts du parchemin flétri
Où son bras diligent et zélé la conduit.
Market Drayton, Octobre 1972