Main empennée

OEUVRES POETIQUES
d'Isidore Ledoux, poète berrichon méconnu.

Monsieur Isidore Ledoux

OEUVRES DE LA MATURITE


Sonnet pour Amarillys

Je cheminais, transi, de par le morne hiver
Où l'ire de Borée me glaçait à coeur fendre
Lorsqu'à vos cheveux d'or je me laissai surprendre
Ainsi qu'un cerf piégé par des rets trop pervers.

Mais, las, Amarillys, mon sort devint amer
Quand à votre amitié mal me prit de prétendre
Car je n'eus rien de vous et rien ne dus attendre
Outre le froid mépris de vos beaux yeux de fer.

Point n'est de népenthès ni baume de Byzance
Pour adoucir en moi la funeste souffrance
Muet tourment n'ayant que Dieu pour seul témoin.

J'en appelle au trépas, j'en implore la foudre :
Ce feu sur moi tombé saurait-t-il n'ardre moins
Que celui dont vos yeux mirent mon âme en poudre ?

          Market Drayton, 10 Mai 1973


Misère et grandeur du maître auxiliaire (diptyque)

I Misère

De vieux livres râpés, des plumes, des crayons,
Quelques cahiers jaunis qu'en son cartable il serre :
Tel est l'unique bien du Maître-Auxiliaire,
Tel en est le bagage en ses migrations.

Il a toute sa vie et sans rémission
De classe en classe oeuvré pour un ingrat salaire,
Parcourant le chemin que nulle joie n'éclaire
Hormis l'austère amour de la Profession.

Mais parfois, délaissant sa tâche et ses copies,
Détournant son coeur lourd des vaines utopies,
Il songe que personne et que rien ne pourra

De l'aveugle destin conjurer les arrêts,
Outre ce noir convoi qui l'acheminera
Vers son ultime poste à l'ombre des cyprès.

          Aigurande, Février 1974

II Grandeur

Humble, malgré le faix de sa noble fonction,
A son austère tâche il vaque avec constance,
Sachant que les élus de sa profession
Sont les bras besogneux qui bâtissent la France.

Ainsi qu'au firmament les constellations
Préservent le vaisseau de la funeste errance,
Les devoirs mensuels et les préparations
Sont les mornes jalons de son âpre existence.

Mais quand fuit Apollon sous les ombres du soir,
A l'heure où sur sa table un modeste bougeoir
Est l'unique témoin de son labeur zélé,

On pourrait lire alors sur son front studieux
La sagesse infinie et l'espoir radieux
De l'obscur philosophe au Grand Oeuvre attelé.

          Aigurande, Janvier 1974


Paysage écossais

Dans la sylve hautaine où les bouleaux d'argent
Dressent parmi les pins leur corps souple et gracile,
Les zéphirs parcourant cet océan docile
Emeuvent la feuillée en frissons bleus changeants.

Par-delà les forêts qu'abolit la bruyère,
Immobile, la lande en sa mauve toison,
Outre cette agonie éparse du gazon,
S'enivre des rousseurs défuntes de fougère.

Rien ne bruit alentours. A l'horizon blafard
L'Occident se consume aux rougeurs qu'il exhale.
Seul, peut-être niant la langueur boréale,
Eclate rauque et fier l'olifant du busard.

Et toujours l'Océan, libre parmi ses chaînes,
Mêle en l'ultime accord pour l'hymne vespéral
Aux glauques floraisons du royaume abyssal
Les bleus hortensias des Hébrides prochaines.

          Déols, 29 Juin 1974


Loch

Miroir de jais ceint de granite
Au loch précipitée, O Tour,
En quel insondable séjour
S'abolit ce front qui palpite ?

Outre cela, quel charme incite
Vers le mensonge d'un faux jour
L'ancien blasphème à son retour
Fugace en la lune illicite ?

Mais pour qui le calame obscur,
Fébrile, attend du suc impur
Des ténèbres le pur prodige,

Hors ce lac de vide liqueur
Déserté de l'Ange et du Strige,
Seul éclôt le fruit du labeur.

          Déols, 3 Juillet 1974


Sonnet à la Rhétorique

En notre âge de fer où l'excentricité
Reste seul parangon, c'est vers toi, Rhétorique,
A ta source oubliée que mon calame antique
Ira pour y puiser l'austère volupté.

Pour nous garder de choir en la banalité
Qui voudrait sous son joug la cité poétique,
Il n'est d'autre rempart que ta loi canonique
Et tout le reste n'est que folle vanité.

Aux stériles ardeurs d'une muse volage,
Préférons les conseils d'Aristote le Sage,
Qui voulut que d'un trope artistement serti,

Le discours adornât sa parure mortelle
Et fût tel un flambeau de gemmes assorti
Eclairant l'Univers d'une flamme nouvelle.

          Déols, 8 Juillet 1974


Rondel d'outre-tombe à la cruelle Aliénore

A l'ombre du bleu sycomore
Epandu sur le boulingrin
Vous étiez telle, en son écrin,
La fleur d'un lys qui vient d'éclore.

Et las, votre voix de mandore
Me perça d'un mortel chagrin
A l'ombre du bleu sycomore
Epandu sur le boulingrin.

Mais pourtant, cruelle Aliénore,
Navré d'un mépris suzerain,
Hors le Carrare qu'il enfreint,
Un myrte vert espère encore
A l'ombre du bleu sycomore
Epandu sur le boulingrin.

          Déols, 27 Août 1974


Hommage à J.A. Scarbo, poète.

De Pégase et Bellérophon
Telle la propice alliance,
Au chimérique azur s'avance
Un verbe où l'idée se confond.

O Scarbo, vaste esprit profond
Où le forme au fond se fiance,
Tu forgeas par seule science
Maint joyau que Vulcain ne fond.

Fruits d'un occulte magistère !
L'âme en proie au temps délétère
Se ressouvient d'une beauté

Ineffable autant que l'extase
En la perverse volupté
D'un lys agonisant au vase...

          Bourges, 6 Octobre 1974


Vaisseaux fantômes
Sonnet engagé pour la titularisation des maîtres-auxiliaires

Navires, nous voguions bercés des flots charmeurs,
Insoucieux malgré le sillage et l'écume,
Du rivage aboli par l'oublieuse brûme
Que le vent embaumait de mystiques rumeurs.

Mais l'avare océan aux navrantes humeurs
Par sept fois épandit le vase d'amertume
Aux agrès infligé sur la houle posthume,
Et nous garda, spectres sans voiles ni rameurs...

Seras-tu pour toujours à nos voeux refusée,
O Terre, ultime hâvre à notre âme abusée
Dont seul Neptune est sourd aux cantiques plaintifs ?

Aurons-nous déjoué l'ondoyante ironie
Des courants incitant les coques aux récifs
Pour subir de langueur une lente agonie ?

          Bourges, 12 Novembre 1974


Croisée

Golgotha du Livre ignoré,
Quelle immolation (Chimère?)
A même l'azur éploré
Endeuille une moire éphémère ?

A cet holocauste promu,
Quel victimaire en un vain charme
Empourpre par les cycles mû
Un orient vierge de larme ?

Car au diaphane ostensoir,
Aboli chaque nuit sans thrène,
L'hyalin calvaire du soir
Se mire en la douleur sereine...

Mais ce miroir qui ne défie
L'Astre en son porphyre natal
Arrache et, saignant, cruxifie
Mon coeur au quadruple cristal.

          Bourges, 8 Décembre 1974


Reconnaissance

Nul amer au coeur balsamique
Ne rompt le deuil de Séléné.
Or à l'abîme déchaîné
Que hante une veuve relique,

Quelle main soudain séraphique
Hors le basalte suranné
Brandit le flambeau d'Athéné
Au seuil d'une vierge Amérique ?

Tel, en un lac de sur oubli,
Ce calame eût-il aboli
Vos candeurs, O toiles vacantes

Si d'almes feux le quatuor
N'eût suscité quelque hélianthe
Aux plis d'un brasillement d'or ?

          Déols, 3 Avril 1975


Spleen beauceron

O Loupe, ultime hâvre en la mer des moissons,
Voici le vent du nord dessous l'immense nue;
Voici, offerte à lui, la plaine sans buisson,
Et voici ton regard sur la Beauce âpre et nue.

Un timide angelus s'égrène et c'est le soir.
Un homme vieux s'arrête et voyant l'humble église
Emerger blanche encore au bout du sillon noir,
S'agenouille un instant parmi la glèbe bise.

Mais les cloches de Dieu ne chantent nul espoir
A celui dont la vie en la terre féconde
Ne connut que la faux, la houe et le semoir,
Et dont le front vaincu à la peine s'inonde.

Vains furent les labeurs et nulle la richesse :
Voici bientôt la nuit et les cloches ne sont
Que le fuligineux écho de ta promesse,
O Tombe, ultime hâvre en la mer des moissons

          La Loupe, Juin 1977


Le poète en 1977 à La Loupe (Eure et Loire)

Lépiote élevée

J'allais par les chemins d'Octobre sans espoir.
La saison languissait de moîteurs incertaines
On eût dit que l'été prolongeait son haleine
Afin de s'embaumer en cet ultime soir.

Et voici qu'au détour d'un morne taillis noir,
Svelte jaillissement parmi la ronce vaine,
Tu m'es donc apparue, opportune et hautaine,
Toi dont à la beauté ne sied nul ostensoir.

La pâleur de ton col à mon regard offerte,
Le fauve camaïeu de ta corolle ouverte,
Mêlés à ton parfum ne purent que ravir

Celui qui te ravit, délicate et humide,
Sentant monter en lui le bouillonnant désir
De mordre à belles dents ta chair rousse et candide.

          Châteauroux, 17 Octobre 1979


Indignation,
Sonnet engagé contre M. Brejnev
et l'intervention soviétique en Afghanistan

Du moribond vieillard est-ce l'ultime coup
De dés, sanglants jetés par delà ses frontières
Ou le rêve d'un Tzar avant le cimetière
De voir le fier Afghan vaincu sous le licou ?

Camarade soldat, retourne vers Moscou !
Ce marteau hypocrite en ta rouge bannière,
Est-ce pour opprimer un autre prolétaire
Et la faucille enfin pour lui trancher le cou ?

Quelle est cette rumeur ? - C'est la lutte finale !
Me dis-tu, - C'est le choeur de l'Internationale...
Moi j'y entends l'écho d'un orgue stalinien...

Car en ton cerveau sourd que le Goulag explique,
L'ours immonde, repu de l'Idéal ancien,
A gravé "génocide" en lettres cyrilliques !

          Châteauroux, 25 Janvier 1980


Châteauroux hard blues

"On croit mourir, la vie est lente"
Louis Suchard (La Nuit du Boucher)

Ville, j'ai trop lassé mes désirs à tes rues.
     Sous les pavés gras du dégoût,
Les criardes amours des chimères ventrues
     Montent grises de tes égoûts.

Au Café de Paris sous les néons pensifs,
     J'en ai fumé de rêveuses Florides
Et j'ai cent fois maudit le jet d'eau maladif
     Pissant l'ennui toujours dans les ciels vides...

Maurice Rollinat, toi mon frère morose !
     Nous avons bu le même spleen
A Châteauroux ! - et cuvé les mêmes névroses
     Dans les vomissements du gin.

Bouchères de la nuit ! bouclez ces chambres froides
     Où tout rêve s'étrangle et meurt
A ces crochets de fer balançant déjà roides
     Quatre mille chômeurs !

Laissez-moi, pantelant, renaître à l'insomnie
     Attendre encore un jour nouveau !
Des trains de nuit crevant la langueur infinie
     Ragnassent dans mon creux cerveau...

Mais à quoi bon vomir encore ces lambeaux
     Désuets de vocabulaire
Quant la mort immobile au marbre des tombeaux
     Maintient son burin lapidaire ?

Je partirai, Berry, trop petite province,
     Meneux de loup, fadaises, George Sand !
Déjà des roues de fer en moi tournent et grincent.
     Venez, vautours ! A vous ce no man's land !

Et, le quai de ciment l'invitant aux oublis,
     Mon baluchon penchera sa mâture.
Adieu ! Je vais - puisque le jour pâlit
     Sous d'autres cieux chauffer ma pourriture...

Châteauroux, 26 Juin 1980


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Dernière mise à jour le 2 octobre 2010
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