Le télégraphe sans fil
Polin (1863-1927), interprète et gloire du caf'conc dans le style du comique troupier nous a laissé avec "le télégraphe sans fil" un document de premier ordre sur les débuts de la T.S.F. Cette "chansonnette-monologue" éclaire d'un jour nouveau l'histoire des radiocommunications militaires effectuées depuis les caves de la tour Eiffel. D'autre part la manière très avant-gardiste de parler-chanter sur un fond musical pose déjà les premiers jalons du Rap français contemporain... Bref, tant dans le contenu que dans le style, cette oeuvre méconnue de Polin est révolutionnaire à plus d'un titre et va bien au-delà du simple document historique. Le texte, d'une facture toute classique, s'articule en 5 strophes de 8 octosyllabes chacune. Le compte des syllabes est à peu près respecté si on tient compte des élisions propres style parlé. Les rimes sont justes, parfois même assez riches (machine / la Chine) et respectent scrupuleusement l'alternance masculines/féminines, à l'exception de l'assonance finale boîteuse, mais peut-être volontaire "vois-tu / j'ai vues". Notons au pasage le très beau vers "Les manettes avec tes menottes", rencontre savoureuse de deux mots de même étymologie et de sonorité très proche...
La musique d'accompagnement, discrète mais efficace, confiée à quelques instruments à vent, assure l'introduction ainsi que les séparations entre les couplets, mais sa présence reste feutrée afin ne pas couvrir la voix du chanteur-diseur et de permettre la parfaite compréhension de ce très beau texte. Ce pur chef d'oeuvre fut endisqué autour de 1912 sur galette Pathé 90 tours 35 cm commençant par le centre (mais oui !). Cliquez sur l'image du disque pour l'écouter. Bien qu'il n'y ait pas de difficulté de compréhension, voici néanmoins le texte intégral dans toute sa splendeur avec sa chute finale...vertigineuse.
Au régiment pour vivre tranquille
Comme bibi, y'en a pas bézef
Je peux dire que je me fais pas de bile
Depuis que je suis dans la T.S.F.
J'ai qu'à recevoir sur une machine
Les télégrammes confidentiels
Qui viennent du Maroc ou de la Chine
Dans les caves de la Tour Eiffel.
Dernièrement Mademoiselle Cécile
Me dit comme çà : Je voudrais bien savoir
Comment qu'un télégramme s'enfile
Pourriez-vous-ti me le faire voir ?
Qu'est-ce que vous vouliez que j'y réponde ?
J'y répondis : Ah ma foi si
Seulement voilà, y'a tellement de monde
Que j'ose pas vous faire voir çà ici.
Elle me réplique : Ah qu'à cela ne tienne
J'irai jusqu'à votre atelier.
A la Tour Eiffel je l'emmène,
Elle s'arrête devant l'escalier
Ah non qu'elle fait, pas à la cave
Sans chandelle j'irai pas par-là
Tais-toi donc, j'y fais, grosse betterave !
Une chandelle, on trouvera bien çà !
Elle descend et v'la qu'elle tripote.
Oh! j'y dis, faut pas tripoter
Les manettes avec tes menottes
Tu vas te faire électrocuter !
Ca ne rate pas, tout à coup la belle
Se pâme et fait des yeux de merlan frit.
Ah! je sens que je m'en vais, dit-elle.
Attends, j'y dis, je m'en vas aussi.
Avant de me quitter la bergère
En pleurnichant me dit : Monsieur Eloi,
C'est bien vilain ce que nous venons de faire.
Qu'est-ce que vous allez penser de moi ?
Ah ! que j'y réponds, par Saint Joseph,
Je penserai tout simplement, vois-tu
Que je t'ai fait voir la T.S.F.
Et que c'est T.F.S. que j'ai vues !
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Dernière mise à jour 25 Janvier 2002
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