Stéphane Mallarmé au pays du fromage de chèvre

Parmi les visiteurs illustres que connut Valençay, le génial poète Stéphane Mallarmé semble avoir été bien injustement ignoré des Berrichons. Toujours est-il que Mallarmé, dans une lettre datée du 13 Août 1887 adressée à Catulle Mendès, évoque longuement notre région et ses spécialités qu'il prisait au plus haut point.
Ce court séjour dans l'Indre n'eût rien en soi de remarquable, s'il n'avait été l'occasion de quelques vers mémorables et assez surprenants de la part du très sérieux auteur du Faune. Nous reproduisons ce très court poème, tel qu'il figurait dans la première édition des Oeuvres Poétiques de 1893, ayant été, pour des raisons assez obscures, supprimé des éditions ultérieures :

Sonnet tronqué (1)

Au palais (2) de nul pharaon
Pyramide lente (3) avalée
Sois (4) si  (5) de chieuve  (6) en la vallée
 (7) Point du Nil plutôt du Nahon



Quelques notes s'avèrent nécessaires pour le lecteur peu familier du style de Mallarmé :
(1) tronqué : un sonnet comporte normalement 14 vers. Celui-ci est donc plus que tronqué puisqu'il n'en a que 4 ! Mais l'adjectif fait également référence à la pyramide tronquée du fromage ici glorifié.
(2) palais : il ne s'agit pas ici du bâtiment, mais simplement de la bouche.
(3) lente : adjectif à sens adverbial (lentement) procédé typiquement mallarméen
(4) avalée/Sois : inversion inattendue avec enjambement = sois avalée (s'adressant à la Pyramide)
(5) si de chieuve : ellipse = si (tu es) de chieuve
(6) chieuve = "chèvre" en berrichon
(7) le vers 4, malgré l'absence volontaire de ponctuation, est une sorte de parenthèse venant préciser le mot "vallée"

On retrouve donc ici de nombreux procédés stylistiques habituels à Mallarmé. L'humour ne doit pas surprendre quand on sait que tout lui était prétexte à versifier : adresses postales, dons de fruits glacés pour le nouvel an, oeufs de Pâques, et ici...la pyramide de chèvre de Valençay.
Seul le mot "chieuve" pourrait faire douter de la paternité de ce sonnet, si l'on ne trouvait pas parfois d'autres vocables étrangers dans certaines de ses oeuvres. Pourquoi Mallarmé se serait-il refusé l'usage de ce mot exotique si merveilleusement mis en valeur ? Et n'oublions pas qu'il ne s'agit que de vers de circonstance, n'ayant d'autre propos que de faire sourire. Oeuvrette sans prétention de la part de l'auteur du "sonnet en -ix", mais admirons en toutefois la géniale synthèse égypto-berrichone s'articulant selon une syntaxe raffinée. Apprécions en aussi la musicalité due à la rime très riche : Pharaon / Nahon.