Un demi-jour cendreux au dessus de la frêle silhouette de l'Abbaye. Un ciel de fin du monde pesant, tel une chape de plomb, sur la cité déoloise frileusement blottie autour de son clocher. Tel fut, en plein midi d'Août, l'étrange spectacle de l'éclipse partielle, elle-même partiellement éclipsée par les nuages omniprésents... C'est à peine si un fragment de croissant solaire émerge des nuages menaçants, alors qu'on sent une fraîcheur quasi-vespérale envahir le parc des Chenevières. Dans la prairie, les moutons, fort assidus à leurs occupations alimentaires, broutent sans lever les yeux, sans voir l'esthétisme fin-de-siècle de ce ciel opalescent, sans être saisis du moindre frisson cosmique, sans ressentir le vertige métaphysique que doit inspirer un tel spectacle !
Seuls les bipèdes de race humaine ont la faculté de mettre temporairement entre parenthèses leurs occupations de survie et de lever les yeux vers le ciel pour s'émerveiller...Une éclipse est toujours l'occasion de nous rappeler où nous sommes et de nous remettre à notre place infiniment modeste : Nous sommes sur une petite planète privilégiée qui tourne autour d'une moyenne étoile qu'on appelle soleil et qui a permis l'apparition de la vie et son évolution vers des formes de plus en plus complexes dont nous sommes le dernier maillon. Et pourtant, seuls les bipèdes de race humaine ont, outre la faculté de penser, celle de se détruire mutuellement pour les motifs les plus dérisoires....L'intelligence humaine a aussi ses éclipses, quand passe devant elle son double obscur : la bêtise infinie...